« Primevères, violettes, pervenches, pâquerettes, épanouissent leurs corolles odorantes, émaillent de couleurs vives bordures, pelouses et taillis verdoyants. En de folles poursuites, les hirondelles aux ventres blancs tournoient dans l’azur du ciel, mêlant en un seul cri de joie leurs trissements stridents. Le soleil radieux, la température élevée en ce début de saison et l’envie de bouger encouragent à sortir. Voilà plusieurs semaines que le printemps s’affiche !
En partant de la maison ce dimanche 10 mai 2015, une boucle d’une douzaine de kilomètres m’attend et d’une dénivelée modeste, un peu moins de cent quatre-vingt-dix mètres. Je me dirige vers le pont de Saint-Just – Saint-Rambert. Lisse, similaire à un miroir, la surface de l’eau est tout juste déformée par les sillages des colverts en compagnie desquels nage un vilain petit canard… tout blanc ! Volatile échappé d’une basse-cour, sans doute. En amont, sur la rive droite du fleuve où des familles pique-niquent, la sente, balisée de petites plaquettes bicolores, longe la Verrerie de Saint-Just. Alentour, un camaïeu vert pare les arbres : tendre pour les jeunes feuilles des platanes, bleuté pour les pousses des cèdres, émeraude pour les aiguilles des séquoias centenaires. Autour des touffes de joncs, l’herbe rase recouvre le sol d’un moelleux tapis neuf. Les oiseaux gazouillent leur joie dans les aubépines en fleur, vibrionnent en quête de nourriture pour leurs nichées.
En retrait, au-dessus des arbustes, se devinent les toits du Vieux-Saint-Just. Sur l’autre rive, les quartiers des Barques et du Port Haut évoquent par leur dénomination le glorieux passé de la batellerie locale. Je rattrape et croise de nombreux promeneurs. Au hameau d’Asnières, le bruissement fluide des flots enfle au fur et à mesure qu’ils se rapprochent. À travers les branchages des aulnes et des frênes surplombant la berge, scintille l’eau vive qui s’écoule parmi roches et galets. De part et d’autre du fleuve, la ripisylve étale ses odoriférantes strates végétales. Par tous mes sens stimulés, je savoure avec avidité cette opportunité de plaisirs simples. »
De rudimentaires rondins de bois aident à monter un raidillon. Elles conduisent à la voie ferrée désaffectée qui reliait Saint-Just-sur-Loire à Unieux. Là-haut, la halte qui s’impose est mise à profit pour souffler, se désaltérer. Le sentier continue vers le barrage de Grangent, dans les ultimes couloirs des gorges de la Loire. Un site bordé d’abruptes collines rocailleuses couvertes de genêts dont les éclatants pétales jaunes embaument l’atmosphère ambiante. Le lit du cours d’eau paresse parmi des roches claires. Au-dessus des merisiers en pleine floraison, des buses planent décrivant de larges cercles ascendants. L’ancienne voie, creusée dans le rocher, me dirige tout droit sur une paroi de granite percée d’un tunnel. Je me plais à imaginer les trains qui passaient ici, crachant leur panache de fumée et s’époumonant de retentissants coups de sifflet avant de s’engouffrer à toute vapeur dans le trou noir. Sitôt à l’intérieur, la fraîcheur humide s’agrippe à la peau, les poils de mes bras se hérissent. J’avance dans la semi-obscurité, trébuchant sur des cailloux du ballast. Je marche vers la lumière avec en point de mire, la sortie du tunnel. Encore quelques pas et le barrage est en vue.
L’ouvrage mure la gorge en un point étroit et encaissé. Au sommet d’un éperon rocheux, qui domine la barrière de béton, se dressent les murailles crénelées du château d’Essalois. Sur la rive gauche, le bâtiment de la centrale hydroélectrique paraît bien chétif au pied du colosse vertical. Les quatre vannes de crête sont fermées. Par contre, en bas du mur, une vanne de vidange projette un panache d’eau irisé des couleurs de l’arc-en-ciel. De la plate-forme où je suis, le paysage m’émeut. Des souvenirs d’enfance émergent de ma mémoire… En particulier, le voyage[1] de fin d’année scolaire 1956, sortie très attendue des écoliers de l’époque… Visite des lieux pendant la construction du barrage… Les explications du maître, assidûment écoutées… Le repas tiré du sac, le pique-nique dans la nature… J’étais bien jeune à cette époque, mais le chantier démesuré a laissé dans mon imagination d’enfant une impression de gigantisme incommensurable, réduit à de plus justes proportions aujourd’hui !
Les marches d’un escalier gravissent la pente jusqu’à la route départementale qui franchit le barrage. Je la suis vers un surplomb d’où se découvre l’île de Grangent, de nos jours propriété privée, couronnée du château éponyme et d’une chapelle. À droite de l’île, en contrebas, les toits rouges du hameau des Camaldules se devinent à travers les frondaisons. Le promontoire rocheux isolé sur les eaux noires du lac de retenue, le château flanqué de la chapelle, l’écrin que forment les à-pics verdoyants d’alentour, évoquent singulièrement un panorama de loch écossais. De là, le chemin rejoint le hameau de la Côte et grimpe sur la colline. Par une piste de terre aux bordures rehaussées de l’or des genêts, j’atteins le point culminant du parcours. D’ici, le point de vue sur la plaine du Forez est exceptionnel.
La piste de terre dévale entre des prés où pâturent vaches, chevaux et moutons. Des buissons environnants, des merles enchanteurs s’envolent à tire d’ailes sifflant leurs cris d’alerte. Le chant sonore et clair d’un coucou résonne dans la pinède voisine. Peut-être se gave-t-il de chenilles processionnaires, ses proies préférées ? Ou bien, tente-t-il d’attirer une femelle ? Quoi qu’il en soit, je n’ai aucune pièce de monnaie sur moi… La fortune ne sera donc pas au rendez-vous, cette année ! Je passe le pont au-dessus de la voie ferrée désaffectée, gagne le hameau d’Asnières et, par le même itinéraire, reviens jusqu’au point de départ. »
José CASATEJADA
[1] Une sortie scolaire pédagogique facultative autour d’un projet éducatif concret… en « hexagonal » !